L'ESPAGNE, LES JUIFS ET ISRAEL

L'ESPAGNE, LES JUIFS ET ISRAEL

Messagepar Olivier » Novembre 19th, 2011, 5:32 pm

L’antisémitisme espagnol offre certaines particularités. Je ne les passerai pas en revue dans le présent article (qui prend appui sur une étude de Gustavo D. Perednik) et ne m’arrêterai que sur une seule d’entre elles — la plus particulière de ces particularités.



Pour nombre d’Espagnols, l’antisémitisme n’existe tout simplement pas dans leur pays. On pourrait parler d’ingénuité. Lorsque Javier Solana a déclaré qu’il n’y avait pas d’antisémitisme en Europe, provoquant la colère de certains, je reste convaincu qu’il ne donnait pas dans la provocation et qu’il était parfaitement sincère, peu lucide mais sincère. Pour les Espagnols, l’antisémitisme est exclusivement lié au nazisme.



Les Espagnols expriment plutôt ouvertement leurs sentiments, y compris les moins amicaux, et pas seulement envers les Juifs et Israël. Je vis en Espagne depuis bientôt vingt ans et j’ai pu observer ce phénomène dans des milieux très divers, populaires et diversement bourgeois.



Les Espagnols distinguent rarement entre Israël et «les Juifs». Ils ont donc la fâcheuse tendance à croire que l’antisémitisme est provoqué par l’État d’Israël. A ce propos, signalons que l’Espagne a été le dernier pays occidental à établir des relations diplomatiques avec Israël, en 1986. Pourtant, lorsque la chose les arrange, les Espagnols (et ils ne sont pas les seuls) établissent une nette distinction entre Israël et «les Juifs» ; et ils concluent tout naturellement que l’antisionisme, y compris le plus radical, ne revient pas nécessairement à attaquer «les Juifs» ; autrement dit, qu’il ne relève pas nécessairement de l’antisémitisme. Dans son livre, «El antisemitismo en España. La imagen del judío (1812-2002)», l’auteur, Gonzalo Álvarez Chillida, ne parvient pas — et en toute bonne foi, semble-t-il — à démêler les préjugés contre les Juifs et les dénonciations contre Israël.




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Hervás, dans la province de Cáceres, une bourgade célèbre pour sa judería.



Les attaques contre Israël (généralement sous forme de perfidie) ne sont pas rares dans la presse espagnole. Citons cet article d’un journaliste réputé, Enrique Curiel, publié dans «La Razón» du 20 avril 2003 et intitulé «El nombre del problema es Israel». Je ne m’étendrai pas sur ce genre de littérature qui est toute entière activée par la théorie du complot : ce journaliste laisse entendre que l’Intifada est le résultat d’un complot ourdi par Georges W. Bush, Ehud Barak et Ariel Sharon. J’ai personnellement entendu, le 11 septembre 2001 (j’habitais alors à Cordoue), deux retraités espagnols de mon quartier déclarer d’un air entendu que les attentats contre les Twin Towers était un coup du Mossad...



Je note que les attaques contre Israël, dans la presse espagnole (mais, une fois encore, il n’y a pas qu’elle), sont de plus en plus le fait de la gauche (du centre gauche, avec le PSOE et le quotidien «El País», à l’extrême-gauche) qui ne cesse de rebondir en se masquant derrière la cause palestinienne afin de harceler Israël et le «lobby juif». Ce comportement est d’autant plus ignoble que la gauche qui s’agite au nom de la solidarité avec les opprimés n’a jamais levé le petit doigt pour ces peuples qui luttent dans l’espoir d’avoir eux aussi leur État. Et je pense aux Kurdes et aux Sahraouis pour ne citer qu’eux. Lorsque les Palestiniens se font massacrer sans qu’Israël puisse être mis en cause d’une quelconque manière (Septembre noir, en 1970), la gauche se tait et se fait même toute petite. A droite, l’antisémitisme espagnol a plus directement à voir avec un certain terreau catholique. Le quotidien catholique et monarchiste «ABC» (fondé en 1903) a longtemps donné dans un antisémitisme fortement teinté d’anti-judaïsme. Pourtant, je note un changement de ton toujours plus prononcé. C’est dans ce journal que je trouve aujourd’hui les articles les plus franchement pro-israéliens, pro-sionistes. Il est vrai qu’on peut-être antisémite tout en étant sioniste. Mais ceci est une autre histoire. Je signale en passant une certaine ambivalence envers les Juifs dans les milieux traditionalistes et «réactionnaires» espagnols. Le plus fervent partisan du retour des Séfarades en Espagne, Ernesto Giménez Caballero (1899-1988), fut l’un des principaux idéologues du fascisme espagnol. Ci-joint, un riche lien (en espagnol) sur une étrange personnalité :
http://www.filosofia.org/ave/001/a018.htm



Nombre d’ignares me rétorqueront qu’il n’y a là rien d’étonnant dans la mesure où fascisme (et même nazisme) et sionisme ne font qu’un. Que ces ignares étudient !



L’argumentation antisémite et anti-israélienne espagnole ne met en œuvre aucune théorie particulière, elle suit une ligne générale, moyenne, européenne. Il y a certes ici et là des petits gestes qui en disent long. Par exemple, lorsque le président du Gouvernement Felipe González en visite à Yad Vashem (en décembre 1991) refusa de se coiffer d’une kippa et préféra une casquette de baseball — ou de yatchman, je ne sais plus.



Le plus grand nombre de perfidies lâchées en direction d’Israël est à présent le fait de «El País» (un journal centre-gauche fondé en 1976) dont le modèle fut le quotidien français «Le Monde». Le côté Sainte Nitouche de cette publication sait favoriser des grossièretés particulièrement massives du genre de celle que nous a servie Gema Martín Muñoz dans le numéro du 27 janvier 2003. Il y déclare qu’Ariel Sharon avait planifié la «Solution finale de la question palestinienne». Parmi les poids-lourds de l’antisémitisme-antisionisme en Espagne, Javier Nart Peñalver (né en 1947) qui répète à qui veut l’entendre, tant à la radio qu’à la télévision, qu’Israël est le principal problème du monde moderne.



Heureusement, l’Espagne a une femme comme Pilar Rahola, journaliste de gauche qui dénonce l’antisémitisme de gauche avec une énergie comparable à celle d’Oriana Fallaci. Gustavo D. Perednik remarqua que tandis que la presse allemande et anglaise évoquaient le «massacre de Jénine» (avril 2002) comme une éventualité, la presse espagnole en faisait une certitude. Il est vrai qu’accuser Israël de tous les crimes relève du réflexe. Et c’est bien la difficulté que posent l’antisémitisme et l’antisionisme. Le mot «Juif» ou le mot «Israël» déclenchent des réactions comparables à celles que Pavlov a pu observer chez les chiens. Je n’insisterai pas sur certains détails. On se souviendra toutefois de ce cadavre exhibé sur la chaîne Telecinco et censé constituer une preuve dudit «massacre». On se souviendra de l’acteur Jorge Sanz (né en 1969) qui tout en pleurnichant devant les caméras sur les indicibles souffrances endurées par la population de Gaza, louait la noblesse du combat mené par les terroristes palestiniens. Signalons au passage que lorsqu’il fut avéré que ce «massacre» n’était qu’un pur produit de propagande, personne ne présenta d’excuses. On a pris l’habitude de s’essuyer les pieds sur le Juif et sur Israël. L’affaire Mohammed al-Durah (30 septembre 2000) n’est pas un cas isolé ; elle procède d’un terreau particulier.



Gaspar Llamazares, alors responsable de Izquierda Unida (une coalition de partis de gauche dont le plus important est le Partido Comunista de España) et dénonciateur compulsif d’Israël, déclara que la Shoah gavait son Parti et, qu’en conséquence, il s’abstiendrait de tout hommage aux victimes. Le 30 avril 2003, un périodique hors-normes (puisqu’il soutient Israël), Libertad Digital, lui adressa une réponse cinglante. Ci-joint, un lien vers cette publication exclusivement numérique rédigée en espagnol :
http://www.libertaddigital.com/



Pilar Rahola dénonce l’antisémitisme de gauche, principalement dans son pays. En prenant notamment à partie les déclarations de Javier Nart Peñalver. Pour elle, l’antisémitisme est la cause de l’hystérie pro-palestinienne de la gauche européenne. Je renchéris.



La presse espagnole (mais elle n’est pas la seule) est friande de ces Juifs qui attaquent Israël et d’une manière parfois haineuse. C’est pourquoi je répète que ces Juifs font un mal particulier à Israël, et en l’occurrence au peuple juif. Israël Shahak et Shlomo Sand, pour ne citer qu’eux, sont de ces friandises dont raffolent les antisémites/antisionistes. Le premier déclare que la religion juive explique la nature criminelle du sionisme ; et le second que le peuple juif a été inventé. Que des Juifs honnissent l’État d’Israël (et à l’occasion le peuple juif) permet en quelque sorte de décomplexer le non-Juif haineux. C’est un blanc-seing et un chèque en blanc offerts à toute une engeance.



Utiliser des Juifs contre Israël est une technique efficace qui coupe en quelque sorte l’herbe sous le pied des défenseurs d’Israël. Cette utilisation peut être apparemment neutre ; et on accusera volontiers ceux qui la dénoncent de regarder le monde par le petit bout de la lorgnette ou de chercher des poux. En 2002, le Prix Prince des Asturies pour la Paix a été décerné à un Juif, Daniel Barenboïm, et à un Palestinien, Edward Saïd, l’un et l’autre contempteurs compulsifs de l’État d’Israël. Ces deux amis sont à l’origine d’une fondation destinée à promouvoir la paix par le biais de la musique classique avec le West-Eastern Divan Orchestra, un orchestre composé d’artistes tant palestiniens qu’israéliens. Bref, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. A cette occasion, Daniel Barenboïm émit le souhait de se produire en Syrie, devant le président Bashar el-Assad, alors que quand il se produit en Israël, il n’a jamais dans l’idée d’inviter le Premier ministre. Tout indique que ce brillant chef d’orchestre a une réflexion politique plutôt limitée.



«Les Protocoles des sages de Sion» ont connu trois éditions en Espagne :
- Ils ont été publiés en 1927 par Pablo Montesinos y Espartero. Ci-joint, un riche lien, en espagnol, sur ce personnage :
http://proyectoperfiles.blogspot.com/20 ... de-un.html
- En 1933, avec le soutien de l’ambassade d’Allemagne, dans le journal du fondateur de la Falange, Ramiro Ledesma Ramos.
- En 1977, au cours de la Transición. L’idée d’un complot juif contre le régime de Franco et ses valeurs avait cours à Fuerza Nueva, un parti d’extrême-droite. Certains allèrent jusqu’à attribuer l’attentat contre l’amiral Luis Carrero Blanco (le 20 décembre 1973) aux Juifs.




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Le cratère laissé par l’attentat contre l’amiral Luis Carrero Blanco, dans la Calle Claudio Coello, à Madrid.



Camilo José Cela, prix Nobel de Littérature 1989, ne s’est pas privé de dénoncer l’antisémitisme espagnol. Il a été l’un des maîtres-d’œuvre de l’établissement des relations diplomatiques entre l’Espagne et Israël. En reconnaissance, la bibliothèque de l’Instituto Cervantes de Tel Aviv, la meilleure bibliothèque en langue espagnole d’Israël, a été officiellement baptisée «Biblioteca Camilo José Cela», en décembre 2005. D’autres écrivains espagnols de premier plan ont fait preuve de sympathie envers Israël. Citons Josep Pla (1897-1981). Ci-joint, un lien en castillan (l’original est en catalan) : «Israel, 1957» : http://www.lletres.net/pla/israel_e.html



Et un autre compte-rendu de ce petit livre sur le blog de Fernando R. Genovés :
http://losviajesdegenoves.blogspot.com/2011/01/josep-pla-en-israel.html



Citons également Julián Marías (1914-2005), disciple de José Ortega y Gasset et auteur d’un petit livre dont je conseille également la lecture : «Israel, una resurrección».


Autre lien qui conduit à un ami d’Israël, le site de Pilar Rahola :
http://www.pilarrahola.com/3_0/PRESENTACIO/default.cfm?IDIOMA=ESP



En 2002, l’écrivain Horacio Vázquez-Rial a travaillé à une anthologie intitulée «En defensa de Israel», un recueil d’essais écrits par vingt intellectuels espagnols. Ci-joint, un lien en espagnol intitulé «Qué significa Israel para mí» de Horacio Vázquez-Rial qui rend compte sous une forme allégée de son article intitulé «Si Israel cae», inclus dans l’anthologie en question :
http://www.ilustracionliberal.com/47/que-significa-israel-para-mi-horacio-vazquez-rial.html



Notons que tout en critiquant à tout va Israël — et, dans une moindre mesure, «les Juifs» —, l’Espagne est plutôt fière de son passé juif, un passé prestigieux entre tous. Il est vrai que cette mise en valeur du patrimoine séfarade assure de substantiels revenus à un pays où le tourisme est essentiel à l’économie nationale. Les Espagnols n’ont peut-être guère envie d’avoir des voisins juifs, à en croire certaines enquêtes, il n’empêche qu’ils ont plutôt plaisir à se supposer des origines juives. A ce sujet, une idée m’est venue. Dans l’inconscient collectif, les Juifs étant systématiquement associés à la richesse et à l’or, les Espagnols d’aujourd’hui peuvent se répéter qu’ils descendent d’ancêtres fortunés, couverts d’or...



L’extrême-droite est plus que résiduelle en Espagne. Encore virulente dans les années qui ont suivi la mort de Franco, elle n’a cessé de s’affaiblir après le coup d’État avorté du 23 février 1981 et le désastre électoral qui s’en est suivi, en 1982, et qui lui a ôté tout représentant au Parlement. Pour l’heure, ce n’est plus elle qui menace la communauté juive, une communauté qui compte aujourd’hui quelque vingt-mille membres. Considérant l’immigration massive depuis le début du XXIe siècle, les dangers qu’elle aura à affronter viendront plutôt des Musulmans. Il y a peu, l’arrestation de Pedro Valera, responsable du groupe néo-nazi CEDADE (Círculo Español de Amigos de Europa) et d’un réseau international d’édition et de distribution de propagande néo-nazi a relancé le débat sur l’extrême-droite en Espagne.
Ci-joint, un lien intitulé «Antisemitism and the Extreme Right in Spain (1962-1997)» et signé José L. Rodríguez-Jiménez :
http://sicsa.huji.ac.il/15spain.html



L’antisionisme-antisémitisme est en pleine mutation depuis la chute du communisme (plus exactement depuis la chute de l’Empire soviétique) et l’intensification de certains flux migratoires en Europe.
L’antisémitisme arabo-musulman est l’héritier de l’antisémitisme nazi mais aussi chrétien. Je rappelle que ce sont les Maronites, des Chrétiens, qui ont commencé à diffuser une certaine littérature (dont «Les Protocoles des sages de Sion», au tout début du XXe siècle, et «Mein Kampf», au milieu des années 1920) afin d’étayer leur refus du sionisme. Cette littérature a été reprise sans tarder par des milieux musulmans de Palestine. Je le redis, les Arabo-musulmans sont venus faire leurs courses chez nous où ils ont trouvé des produits concoctés principalement par le nazisme et le stalinisme, ce qui les a encouragés à activer ces passages du Coran qui appellent tantôt à la haine tantôt au mépris des Juifs. L’antisémitisme européen s’est transporté chez les Arabo-musulmans qui notamment par le biais de l’immigration ramènent l’ordure chez nous. Rabâchage coranique ; réactivation du mythe (longtemps véhiculé par les Chrétiens) du meurtre rituel par les télévisions et le cinéma arabes et turcs ; glissement démagogique néo-chrétien qui établit un équivalent entre le Crucifié et les Palestiniens, tous victimes du «Juif cruel» ; émanation du révisionnisme/négationnisme qui place le signe = entre la swastika et l’étoile de David, entre «sionisme» et «nazisme», etc. Le révisionnisme/négationnisme est frénétiquement activé dans le monde musulman, de l’Iranien Mahmoud Ahmadinejad au Palestinien Mahmoud Abbas qui a échafaudé une thèse (de doctorat, semble-t-il) avec «preuves» de la complicité entre sionistes et nazis dans la Shoah.




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L’écrivain hispano-argentin Horacio Vázquez-Rial (né en 1947), un défenseur d’Israël et du peuple juif.
Olivier
 
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